La ferme de Preuilly
Audren de Fréminville - Preuilly mars 2025
À Preuilly, l'histoire de l'agriculture se confond avec celle du monastère. Tandis que s'érigeaient les premières pierres de l'abbaye, les premiers sillons étaient tracés, inscrivant dans la terre le même élan fondateur. Et si l'on ne peut aujourd'hui comparer les 560 hectares de l'exploitation actuelle à l'immensité du domaine que façonnaient jadis les moines, il est touchant de penser que ces terres que nous cultivons servent Preuilly depuis près de neuf siècles.
Fondée en 1118, l'abbaye cistercienne de Preuilly fut un acteur majeur de la mise en valeur agricole de la région. Soutenue par de généreux dons et les faveurs royales, elle constitua un vaste domaine que les moines, épaulés par les frères convers, aménagèrent avec rigueur et ingéniosité. Granges, fermes, moulins et tuileries jalonnaient alors le paysage, assurant à la fois l'autosuffisance du monastère et la prospérité économique des terres alentour. Ce modèle d'organisation, à la fois spirituel et pragmatique, fit rayonner l'abbaye bien au-delà de ses murs, marquant durablement le territoire.
Après la Révolution, le domaine est morcelé en cinq lots, que le docteur Henri Husson commence à racheter en 1824. Son fils, Georges, poursuivra cette œuvre de réunification et reconstituera le domaine de Preuilly dans son ensemble en 1866.
Les terres sont alors confiées en fermage à Monsieur Bouchet, régulièrement distingué par la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Meaux et honoré en 1868 de la Prime d'honneur départementale. Preuilly devient, sous sa conduite, un véritable modèle agricole. L'exploitation compte alors quinze chevaux de travail, entre 900 et 1 000 têtes ovines — « primées dans beaucoup de concours » — ainsi qu'une étable de trente vaches, issues de croisements entre la race cotentine et des taureaux hollandais : « pleines de santé, remarquables de formes, bonnes laitières, prouvant avantageusement qu'il n'y a pas qu'en Normandie et loin de Paris qu'on peut élever. »
Le domaine compte également 245 hectares « où l'on cultive en grand le blé, l'avoine, l'orge, les betteraves, les pommes de terre et les fourrages de toute nature. « Si l'on veut voir une belle récolte, il faut aller à Preuilly, tout y est remarquable. »
C'est à cette époque que Robert Husson décide de se consacrer à l'élevage de pointers. Preuilly devient bientôt une référence dans le domaine cynophile, et cette tradition sera poursuivie par son fils Gérard.
Après la Première Guerre mondiale, Robert Husson choisit de cultiver lui-même les terres familiales. À sa mort, c'est son fils Gérard qui, bien que promis à une brillante carrière militaire, fait le choix de coeur de reprendre l'exploitation et crée la Société Civile et Fermière de Preuilly afin de simplifier la gestion du domaine
En 1948, Paul Tual, jeune ingénieur agronome, vient effectuer un premier stage à Preuilly. Il n'en repartira plus. Il y épousera Marie-Louise Husson, fille de Gérard en 1950 et contribuera activement à moderniser l'exploitation. À cette époque, la ferme s'étend sur 375 hectares et abrite encore onze attelages de trois chevaux, trente vaches laitières et quatre cents moutons. Peu à peu, les chevaux sont remplacés par des tracteurs, permettant aux charretiers d'achever leur carrière ou de se former à la mécanique. Les vaches disparaîtront dans les années 1970, tandis que les moutons perdureront jusqu'aux années 1990 grâce au dévouement d'Henri Linais, dernier berger de Preuilly.
Visionnaire, Paul introduit la culture du maïs et équipe la ferme de son premier séchoir à grain. Grâce à son expertise, à son attachement à la terre et à sa gestion rigoureuse, Preuilly retrouve son statut d'exploitation exemplaire dans la région.
Dans les années 2000, le Haras de Preuilly voit le jour sous l'impulsion de Patricia Husson. Cet élevage de Selle Français s'impose rapidement comme une référence en matière de chevaux de sport de saut d'obstacles, jusqu'à atteindre la qualification en équipe de France pour les Jeux Olympiques de Rio en 2016 grâce à Rubis de Preuilly, monté par Cédric Angot.
En 2017, portée par Audren Husson, la SCF de Preuilly s'engage résolument dans une transition écologique en se convertissant à l'agriculture biologique, non comme un retour en arrière, mais comme une avancée consciente et exigeante.
Ce mode de culture, respectueux du vivant, nous semble être en accord avec l'esprit de Preuilly : un lieu où l'on cultive autant la terre que l'équilibre, autant la matière que le sens. Le bio, ici, est une manière d'habiter le temps long, de renouer avec nos cinq sens et une certaine forme d'harmonie, de prendre soin de la terre, de ceux qui la nourrissent et de ceux qu'elle nourrit.
En 2020, afin d'adapter les outils de production aux besoins modernes, la ferme quitte l'enclos de l'abbaye et s'installe dans les dépendances de la « ferme de Gratteloup ».
Le prochain grand défi de la SCF de Preuilly sera d'allier agriculture biologique et agriculture de conservation des sols, afin de préserver durablement la biodiversité tout en prolongeant, à notre manière, l'œuvre des moines.